En 2025, Mnémos fête ses 30 ans et pour célébrer cet anniversaire, un concours de nouvelles de SF sur le thème de la mémoire ouvert aux primo-autrices et auteurs était organisé.
À l’occasion de la sortie de l’anthologie Mné/Sys, découvrez un de ces cinq nouveaux talents de l’imaginaire avec Mad Willow !
Bonjour, pourriez-vous présenter et nous parler de votre parcours en tant qu’autrice ?
Bonjour ! Je suis Mad Willow, une autrice qui s’assume comme telle depuis peu. Pourtant, d’aussi loin que remonte ma mémoire, j’ai toujours eu la littérature dans la peau.
Dévoreuse de livres depuis l’enfance, c’est à l’âge de 11 ans que j’écris ma première longue histoire pour combler le vide des mois que je passe clouée au lit par une maladie auto-immune au nom étrange. De ce récit échappatoire, je plonge ensuite dans la rédaction de fanfictions dans l’univers de mes passions adolescentes. Enfin, j’atterris sur les rivages d’une littérature plus personnelle et engagée lors de mes études en langues et lettres modernes, puis en arts du spectacle. Aujourd’hui, je rêve de partager mes pérégrinations littéraires avec un public plus étendu que mes proches.
Merci à Mnémos de m’offrir cette chance !
Comment avez-vous découvert les littératures de l’imaginaire et plus particulièrement la science-fiction ? Y a t-il une œuvre qui vous a marqué profondément ?
La lecture est une de mes passions depuis l’enfance, et j’ai toujours eu un attrait particulier pour les littératures de l’imaginaire. Mes premiers grands amours en science-fiction datent de la vague des best-sellers pour Young Adult – Hunger Games, Divergente, Uglies – qui ont baigné mon adolescence. Je me souviens avoir été transportée par les revendications socio-politiques qui les traversaient.
Ensuite, j’ai entamé des études en littératures modernes et j’ai rencontré les grands maîtres anglo-saxons de la science-fiction comme H.G. Wells, George Orwell, Isaac Asimov, Philip K. Dick ou Ursula K. Le Guin… J’ai été profondément marquée par The Handmaid’s Tale (La Servante écarlate) de Margaret Atwood. Cette œuvre offre d’ailleurs une réflexion profonde et inattendue autour de la mémoire puisque, dans la dernière partie du livre, le récit conté par la protagoniste est remis en cause par des intellectuels qui s’interrogent sur sa véracité. En faisant cela, ils imposent leurs propres biais sur la mémoire collective des événements. Le lecteur se rend compte alors que l’histoire n’est pas seulement écrite par les témoignages laissés par les survivants, mais aussi par les pouvoirs à qui il est donné de manipuler ces données dans le futur.
Bref, autant de questionnements qui me fascinent encore aujourd’hui et qui ont nourri mes pensées dans la rédaction de la nouvelle pour Mné/Sys !
Pourriez-vous nous expliquer comment vous êtes entré dans l’aventure Mné/Sys ?
En janvier, j’ai achevé la réécriture d’un roman de science-fiction que j’ai soumis à plusieurs maisons d’édition. C’était l’aboutissement d’un long projet. Pour ne pas ruminer en attendant les retours des éditeurs, j’ai voulu me replonger dans la création. Je me suis donc lancée dans l’écriture d’un second tome, dans le même univers, mais je piétinais un peu.
À la même période, je m’intéressais à l’actualité de Mnémos et j’ai vu passer la présentation du concours. Le genre et le thème m’ont plu immédiatement. J’en ai discuté avec mon mari – qui me connait mieux que je ne me connais moi-même – et il m’a dit : « Vas-y, fonce ! Ça te fera du bien de te plonger dans un nouvel univers et d’avoir une deadline concrète. » Je me suis lancée. La suite, vous la connaissez. (rires)
Comment s’est passé l’écriture de votre nouvelle ?
L’écriture, étonnamment fluide ! À partir du moment où j’ai cerné mon intention littéraire, l’intrigue a coulé d’elle-même sur le papier. Je suis partie d’une discussion entre deux dames très âgées dont j’ai été témoin dans la salle d’attente d’un docteur. J’ai retranscrit presque mot pour mot les paroles très émouvantes d’une de ces femmes – qui parlait de son désarroi face à la montée des partis d’extrême droite – et je les ai utilisées comme point d’entrée dans la nouvelle.
Assumer jusqu’au bout ce sujet très lourd, en revanche, a été plus difficile. Je ne voulais pas tomber dans un récit naïf ou bateau. J’ai confronté mes idées au regard de mes proches pour multiplier les points de vue et cerner les raccourcis dangereux, les remarques chargées d’ignorance, les fragilités factuelles… Grâce à ces débats et à leur relecture intransigeante, j’espère avoir fait de cette nouvelle un récit hyperbolique sur la mémoire collective, auquel il est possible de s’identifier sans tomber dans la niaiserie.
La mémoire est un vaste sujet. Y-a-t-il un message que vous souhaitiez faire passer en l’écrivant ? Quelque chose que vous vouliez absolument aborder ?
Effectivement, cette histoire porte en elle un message qui a guidé tout le trajet de son écriture. Dans le climat de montée des pensées extrêmes, de violence et de guerre que nous traversons aujourd’hui, je souhaitais apporter ma pierre, aussi modeste soit-elle, à l’édifice de la paix.
En partant du concept de « devoir de mémoire », je me suis interrogée sur l’évolution de la transmission des savoirs sur les grandes guerres – parce que ce sont celles qui ont le plus marqué mes années scolaires. Je me suis rappelée que, à l’âge de 10 ans, mes camarades de classe et moi-même avions visité un ancien camp de travail et écouté le témoignage d’un survivant. La rencontre avec ce vieil homme nous avait tous chamboulés.
Tant qu’ils restent est une invitation à cultiver cette écoute attentive de l’autre et l’empathie, mais aussi une humble manière d’honorer la mémoire de tous ceux qui ont souffert et souffrent encore du cycle infini de la violence humaine.
Les mots de la fin vous appartiennent, c’est à vous !
Mné/Sys est une œuvre collective et je suis très heureuse d’en faire partie ! Cela me touche de partager avec quatre autres auteurs cet espace à la fois fort intime et outrageusement public que sont les pages imprimées entre deux couvertures. Il me tarde de découvrir leur plume et l’angle qu’ils auront choisi pour aborder ce grand sujet de la mémoire.
Et pour nos futurs lecteurs, j’espère, bien sûr, que les récits de tous ces personnages imaginaires ne vous laisseront pas indifférents. Mais, surtout, j’espère que Tant qu’ils restent vous encouragera à être à l’écoute des nombreux récits qui peuplent notre propre univers, parfois bien plus spectaculaires que le plus fou des romans de science-fiction !



