À l’occasion de la parution de son nouveau roman événement le 8 octobre prochain, Christian Chavassieux revient sur la génèse de Demain, les origines.
Votre œuvre forme un vaste édifice, dont Demain, les origines est présenté comme le point de départ. Comment avez-vous construit cette « Histoire du futur » à la française ?
J’ai d’abord une conviction : nous n’avons pas et n’aurons jamais d’autre planète que la nôtre. Toutes les histoires, les aventures, les possibles, se sont déroulés et se dérouleront ici, dans ce monde qui ne connaît ni parallèle, ni alternative. Dès lors, il est évident que tous mes récits, y compris mes romans ou nouvelles de littérature « blanche », ont le même cadre, européen et hexagonal, terrestre en tout cas. L’action de Demain, les Origines précède celle de Mausolées (Mnémos, 2013), qui se déroule dans une Europe ralliée du futur. Sargonne, Mérives… et la mythique Carcosa (qui fut le cadre de mon premier roman publié : Le Baiser de la Nourrice), sont les lieux que mes histoires revisitent inlassablement à travers les siècles. Quand j’écrivais Mausolées, Les Nefs… ou Je suis le rêve des autres, j’avais en tête cette généalogie, je m’efforçais à une certaine cohérence, en prévision d’œuvres ultérieures. J’ai assez tôt établi une chronologie (même si elle demanderait une bonne mise à jour). Des choses se sont greffées, bien sûr, des préoccupations plus actuelles : le fait religieux, par exemple, n’était presque pas abordé dans Mausolées (je n’avais pas imaginé quand je l’ai commencé en 95, que l’Islam provoquerait de telles réactions de rejet dans une partie de la société), de nouvelles donnes technologiques, de nouveaux dangers… Mais en relisant Mausolées, je réalise que tout était déjà là. Réchauffement climatique, génie génétique, épuisement des ressources, baisse démographique, mafias, industries, ultrariches, milices… Même les éléments du prequel étaient en place. Je n’ai eu qu’à réviser ma chronologie et tirer le fil.
Pouvez-vous nous dire quelques mots de l’intrigue ?
Nous sommes dans une France divisée de la seconde moitié du XXIe siècle. La démocratie en crise a accouché de plusieurs gouvernements autoritaires avec des alternances de plus grande tolérance. Tout ça est très fragile. Dans ce marasme instable, les employés d’une petite ferme haut-de-gamme essaient de survivre. À la suite d’une erreur de jugement d’une certaine Grace Noex, la communauté de la ferme va être anéantie ou presque. Grace va vouloir se venger tout en cherchant une rédemption impossible. Tombant entre les mains d’un scientifique, Grace va se révéler d’une importance capitale pour lui. Les recherches dont elle sera le sujet vont amener à des transformations du monde qui trouvent leur conclusion, très loin de là, dans les Nefs de Pangée. Mais il n’est pas nécessaire de connaître ce dernier pour apprécier l’odyssée de Grace dans Demain, les Origines.
Les personnages de Demain, les origines sont marqués par un drame, une vengeance, une rédemption. Comment avez-vous abordé la complexité de ces trajectoires intimes dans un monde dystopique ? (Et comment avez-vous réussi à conserver cette sensibilité, cette écriture poétique dans un cadre si rude ?)
Les passions humaines que vous citez sont fondamentales et habitent tous les récits. On pourrait croire qu’elles guident les actes des protagonistes, mais leurs trajectoires sont, à y bien regarder, soumises davantage aux fantaisies du destin qu’à la force de leur volonté. Maîtriser les futurs, planifier, est un leurre. L’immense projet secret du scientifique cité plus haut a été inspiré par un livre, et s’il réussit, ce sera autant grâce à l’influence d’éléments extérieurs, que par son seul « génie ». La complexité des péripéties n’est que celle d’un monde qui boulange les vies sans précaution. Quant à l’écriture, la sensibilité… Ce sont les personnages et les phrases qui m’entraînent : eux m’offrent leur voix ; elles m’imposent une certaine esthétique. Je fais en sorte qu’un texte soit une expérience littéraire. Si j’ai réussi, alors tant mieux.
La technologie et la génétique jouent un rôle clé dans la survie de certains personnages. Quelle place accordez-vous à ces avancées dans vos réflexions sur l’avenir de l’humanité ?
Celle que les conteurs de jadis donnaient aux philtres et aux sorts. Sauf que je ne crois à aucune magie, aucune religion, aucun arrière-monde. Je m’intéresse à la science et je trouve dans ses développements plus d’émerveillement que dans aucun super-pouvoir. À peine achevé l’écriture de cet opus, je découvrais des articles sur de nouveaux groupes sanguins humains. Des mutations inédites. C’est tellement mieux qu’un « facteur X »…
Le thème de la mémoire et de la transmission est omniprésent dans votre œuvre. Quelles valeurs ou quelles questions souhaitez-vous transmettre à travers ce nouveau roman ?
Il y en a beaucoup, c’est un livre dense sous cet aspect. Mais je ne vais pas faire un catalogue… Proust disait que montrer un message dans un roman, c’est comme faire un cadeau en laissant l’étiquette. Demain les origines (et notamment une de ses parties intitulée Le Livre de Syrrha), approfondit des thèmes qui étaient esquissés dans Mausolées. Je reviens en effet sur ces notions de mémoire et de transmission avec cette fois une dimension supplémentaire : Et si ça ne servait à rien ? Si toute la littérature n’était que le vain exercice de créatures qui se leurrent sur elles-mêmes, inventent des histoires pour éviter de voir que ces récits, ces mythes, ne sont que des antalgiques qui les accompagnent jusqu’à leur fin en atténuant leur peine ?
Comment percevez-vous l’état actuel de notre société, et en quoi Demain, les origines peut-il se lire comme un miroir de nos enjeux contemporains ?
D’abord, une désagrégation est amorcée qui connaît des forces contraires, confuses, militantes, parfois antagonistes entre elles, et tentent d’éviter le pire. La multiplicité des combats et des projections génère une complexité qui ne peut être entièrement exposée dans le cadre d’un texte qu’on cherche à rendre lisible. Nous avons donc allégé les conjectures que j’ai faites à partir de l’état actuel de la société. J’avais tenté d’englober tous les aspects. C’était trop, je le savais. Je vous prie de croire qu’on a évité le pensum. Le romanesque l’emporte largement.
Dans le roman, un point important de l’intrigue explore la question abusivement rebattue de la place des musulmans dans notre société sécularisée. Sous d’autres formes littéraires, j’exposais l’idée que, les réactionnaires de tous bords ont beau s’exciter, c’est fait ! L’intégration dans la nôtre de cultures non-occidentales, non-chrétiennes, est accomplie. Arrêtez de nous emmerder avec ça, nous y sommes ! Et personne ne va grand-remplacer personne ! De plus, environ 25 % des Français se considérant comme musulmans (ou d’origine musulmane) se déclaraient athées ou non-croyants en 2017. Ce chiffre en progression constante est selon moi sous-estimé, car il est encore très difficile de revendiquer son athéisme dans cette communauté où la religion est encore une dimension de l’identité. Demain, les Origines postule un futur où, bien que l’athéisme a triomphé dans toutes les cultures religieuses, l’extrême-droite s’est renforcée de façon complètement illégitime autour de ces enjeux. J’étais en train d’écrire un cauchemar avec ce matériau quand Eric Zemmour et ses épigones ont vu les micros de toute une presse aux ordres se tourner complaisamment vers eux. C’est pourquoi, pour ceux qui s’en souviennent peut-être, gagné par un sentiment d’urgence, j’ai voulu prendre date et j’ai offert le pdf du roman à qui voulait le télécharger (ne le faites plus, j’ai supprimé les fichiers en ligne et puis le roman est autrement abouti aujourd’hui grâce à Davy Athuil). Ensuite, tous les aspects géopolitiques imaginés dès l’écriture de Mausolées il y a trente ans et développés ici, sont devenus d’une effrayante actualité. J’espère vraiment me tromper pour la suite. Je ne peux nier qu’il y a une prétention prophétique dans le récit. Quand elle relisait, ma douce s’exclamait : « Et ça ? Et ça ? On y est ! C’est horrible. Comment tu as fait ? » Elle a commencé à me regarder avec un drôle d’air…
Pouvez-vous nous parler de votre processus d’écriture ? Avez-vous des rituels ou des sources d’inspiration particulières lorsque vous plongez dans ce futur imaginaire ?
J’écris chaque jour, tous les jours, sans prendre plus de 24 heures de pose entre deux « chantiers » d’écriture. Se faisant, je me tiens au courant de l’actualité dans tous les domaines. Je n’ai pas le sentiment d’imaginer un futur, pas plus que je n’imagine un passé quand j’écris des romans historiques : je déroule le fil de ce qui se présente.
Enfin, quel message d’espoir ou d’alerte souhaitez-vous laisser à vos lecteurs à travers Demain, les origines ?
D’espoir ? Hum… Aucun, a priori. Il est sans doute facile et peu original d’être désespéré, comment ne pas l’être ? Cependant… Le livre est dédicacé à mes petits-enfants et à mes petits-neveux. J’ai donc, dans un moment d’égarement, imaginé qu’ils vieilliront assez pour sourire à ce geste. Le pessimiste que je suis se risque à nous laisser un espoir. C’est contre ma nature mais essayons, nous verrons bien. Aussi, je me suis permis de glisser en exergue cette petite anecdote : « Quand on se pique d’imaginer le futur, une seule chose est certaine : on va se planter. Christian Chavassieux, le matin du 1er janvier 2019, au dessus de son bol de café, évoquant le roman en cours avec sa douce. » Ce qui semble écrit peut se trouver dévoyé, je m’efforce de le répéter à longueur de pages, alors je devrais un peu me faire confiance.
Un personnage du roman dit : « …Si l’on considère qu’un livre a ainsi produit l’Histoire, en tout cas l’a influencée, dis-moi, quel est le livre qui a permis le désastre actuel ? Et quel est le livre qui n’a pas été lu et qui aurait pu l’empêcher ? » On peut toujours rêver qu’une lecture de Demain, les Origines change quelque chose. Ce serait un retournement de sens assez ironique (en plus d’être une sacrée surprise !).




