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Les Nefs de Pangée, le chef-d’oeuvre de Christian Chavassieux

Les Nefs de Pangée, Prix Planète-SF des Blogueurs, fait son retour prochainement sous le Label Mu. Comment ce roman est-il né ?

Votre question m’oblige à revenir loin en arrière. Je vais vous surprendre : j’avais entamé, dans les années 80, une BD (à l’époque, je dessinais). Une énorme saga de fantasy, arrêtée par paresse dès la dixième planche. Je pense que c’était très inspiré des « Armées du conquérant » de Jean-Claude Gal (c’est incroyable, je ne réalise ça qu’aujourd’hui, à la faveur de votre question). C’était au trait, en noir et blanc, avec le même souci du détail et du réalisme. Quelques phrases du livre viennent de là : « J’ai vu frémir les voiles des navires sous la clameur de cette multitude » par exemple, ainsi que la description d’une image « traditionnelle » de l’Odalim, faite à partir d’un « faux » manuscrit ancien que j’avais créé. Ensuite, pendant des décennies, l’histoire est restée en moi, a mûri, s’est enrichie, affinée. Jusqu’à la rencontre avec Frédéric et Nathalie Weil pour la publication de « Mausolées »… Je me suis dit que mon entrée chez un éditeur d’imaginaire était peut-être le signe que je pouvais m’atteler à ce récit, non comme une BD (j’étais heureusement passé à autre chose), mais sous forme écrite.

Récit héroïque, aux décors époustouflants et au souffle épique, Les Nefs de Pangée n’a rien à envier aux voyages imaginés par Homère.
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur l’intrigue ?

Nous sommes sur une Pangée du futur, où vivent les différents peuples ghiom. Un supercontinent entouré d’un océan immense. L’un des socles de la société est le sacrifice rituel d’une créature marine gigantesque, l’Odalim, promesse de paix et de prospérité. Quand le roman commence, la neuvième chasse, à laquelle ont participé plusieurs cités du continent, rentre bredouille. C’est un très mauvais présage. Il faut absolument réussir le prochain sacrifice. Pour s’en assurer, tous les peuples de Pangée, dans un effort exceptionnel, concourent pendant plus de vingt ans à la construction des nefs de la plus grande chasse jamais lancée sur l’océan. Océan où survit dans des îles artificielles un peuple mystérieux, quasiment génocidé par les Ghiom, qu’ils nomment avec mépris les « Flottants ». Les nefs partent pour une odyssée dangereuse et longue, tandis que, sur le continent, la société ghiom renverse les anciens mythes et se métamorphose.

Les Nefs a donc pour contexte l’avenir de la civilisation de Ghiom, sur le point de voir ses fondations très fortement ébranlées. Pourquoi choisir cette thématique ?

C’est un thème sur lequel je reviens souvent. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Sans doute parce que j’ai grandi avec la certitude que c’était ce qui nous attendait. Révolutions, post-apo, basculements culturels, environnementaux ou économiques… J’explore souvent les temps de crise, réels ou imaginés. Là, pour évoquer un (double) changement de civilisation à l’échelle d’un monde sur un temps raisonnable (une trentaine d’années tout de même), avec la couleur que je voulais lui donner, aucune période historique n’était pertinente. J’ai donc créé l’univers où tout serait en place pour décrire ce profond séisme.

Outre la dimension épique de cette chasse ultime, Les Nefs dépeignent avec justesse comment se met en place une légende, tout en n’omettant pas d’explorer relations sociales et personnelles. Au travers de ce roman, qu’aviez-vous envie de dire ?

J’avais de la place : il y a beaucoup d’aspects traités. Le courage de ceux qui tentent de faire dialoguer d’irréductibles ennemis. L’amitié. La saine défiance envers la morbide combinaison religion-argent, envers les prophètes et les gourous, les arrière-mondes et la magie. La compréhension mutuelle par l’élaboration du langage, d’un nouveau langage si nécessaire. La fragilité des mythes qu’on a pu croire éternels. La fragilité du savoir, de la sauvegarde du savoir. La majesté tragique de la résignation…

Autre envie, du point de vue formel : je voulais susciter chez le lecteur les images d’un péplum démesuré. Une superproduction à l’ancienne avec foule de figurants, vastes paysages, décors en carton-pâte, peintures sur verre et surimpressions visibles, musique emphatique (le départ de la dixième chasse peut se lire en écoutant le final de « La Nymphe des bois » de Sibelius), cinémascope, technicolor, personnages plus grands que la vie et dialogues criblés de sentences définitives. Voi-là. Je me suis bien amusé !

Entremêlant fantasy héroïque, voyage initiatique et roman baroque, Les Nefs de Pangée constitue une véritable fantasy opéra ! Lors de son écriture, avez-vous eu des sources d’inspiration en particulier ?

Un double héritage assumé, littéraire et cinématographique. « Salammbô » de Flaubert, et « Les Dix commandements » (version 1956) de Cecil B. de Mille. Le foisonnement, le baroque, la cruauté, le gigantisme, les sens (parfums, couleurs, bruits), le lyrisme, jusqu’au mauvais goût parfois. Et bien sûr « L’Iliade » (plutôt que l’Odyssée, mais il me faudrait de la place pour expliquer), « Moby Dick », l’ancien testament, « La légende des Siècles »…

Neuf ans après sa première parution, voyez-vous ce récit de la même façon ? A-t-il toujours les mêmes résonances pour vous ?

Les questions génocidaires, les légitimités de territoires sont d’une actualité brûlante aujourd’hui, comme vous savez, partout sur la planète. Dans Les Nefs comme dans notre histoire jusqu’à aujourd’hui, le temps, des dizaines de siècles si nécessaire, venait atténuer les traits les plus saillants des antagonismes de toutes sortes. Ce qui change maintenant, c’est que les antagonismes sont aussi profonds, mais que le temps manque pour les résoudre par le compromis…

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Christian Chavassieux

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