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Olivier Bérenval nous parle de Musique du sang

A l’occasion de la sortie, le 10 avril prochain, de La Musique du Sang, Olivier Bérenval, auteur de sa préface, revient sur ce roman de Greg Bear, l’un des fondateur du biopunk.

Pourquoi éditer Greg Bear ? Qu’est ce qui le définit ?

Greg Bear (1951-2022) était un véritable « touche-à-tout » de la science-fiction hard science : nanotechnologies, sciences génétiques, technologies spatiales, prospective géopolitique, mégastructures artificielles, sont autant de thèmes explorés dans la quarantaine de romans qu’il a publiés !

À côté de son activité de romancier, Bear a aussi contribué au rayonnement de la science-fiction. Pendant plusieurs années, il a notamment assuré la présidence de la renommée SWFA . Avec d’autres passionnés, il a également créé ce qui allait devenir l’événement de référence de la pop culture de la Côte Ouest, le Comic-Con de San Diego.

La carrière de Bear décolle réellement en 1983 avec un coup d’éclat : deux de ses nouvelles (dont Le Chant des leucocytes, à partir de laquelle La Musique du sang fut créée) remportent les Prix Hugo et Nebula.

Cette série triomphante se poursuivra avec les romans comme Eon (1985) auquel Bear a ajouté une suite, Éternité (1988), et un préquel, Héritage (1995) pour constituer le cycle de l’Hexamone. Le premier roman de la série relate, au début du vingt-et-unième siècle, la découverte et l’exploration d’un astéroïde creusé (le « Caillou ») qui contient sept vastes chambres de dimensions colossales. Celles-ci sont alignées le long d’une artère appelée la « Voie » qui s’avère être un couloir s’étendant à l’infini, le long duquel existent des races extraterrestres en guerre et les lointains descendants de l’Humanité. Avec ce roman, Bear renoue avec la grande tradition de la science-fiction débridée qui nous emporte dans un souffle dans un univers lointain, peuplé d’êtres étranges.

Voici ce que d’autres écrivains de SF disaient de l’approche d’écriture de Greg Bear :

« Greg avait le don de poser de très bonnes questions, comme : Et si la nanotechnologie était combinée à la fantastique puissance de calcul qui réside dans chaque cellule humaine ? ou encore : Et si les populations urbaines trouvaient des moyens de transformer les quartiers en des versions personnalisées du Paradis ? Il faisait partie de ces écrivains qui apprenaient en questionnant les scientifiques autour d’une bonne bière et il ne lâchait jamais prise. Il rédigeait les premiers chapitres de ses romans, les faisait circuler parmi les experts concernés et échangeait avec eux afin de créer un univers fictionnel le plus plausible possible. » (David Brin, auteur du fameux cycle de l’Élévation).

« Ce que j’aimais dans son œuvre, c’est qu’elle embrassait librement tout ce que la science-fiction peut offrir : du futur lointain au présent, en passant par les aventures de créatures que nous ne connaissons que d’un passé lointain, il nous a emmenés dans un grand tour de manège grâce à son imagination débordante. » (Robert Sawyer, l’un des plus célèbres auteurs canadiens de SF).

La Musique du sang est l’un des romans fondateur du biopunk. Qu’est-ce que c’est ?

Le biopunk et un sous-genre de la SF qui mêle armes biologiques, manipulations génétiques, mutations de tous ordres, souvent monstrueuses ! Il se décline à la fois dans la littérature de l’imaginaire mais aussi dans le cinéma, les jeux vidéo. Le biopunk, issu du cyberpunk qui fait la part belle aux simulations, aux environnements virtuels, se subdivise d’ailleurs maintenant en nanopunk pour intégrer les dernières technologies. Les références sont trop nombreuses pour les citer, et vont des franchises horrifiques comme Resident Evil aux romans comme BIOS de Robert Charles Wilson ( une exploratrice génétiquement modifiée est envoyée sur une exoplanète hostile.) ou Borne de Jeff Vandermeer (une ville a été livrée aux expériences génétiques, où rôdent des ours volants et des blobs intelligents !)

Le biopunk perpétue les anciennes interrogations d’auteurs tels que James Blish avec Semailles Humaines ou même Aldous Huxley avec Le Meilleur des Mondes. Qu’est-ce qui constitue la nature humaine ? Et à quel moment les mutations ou les manipulations génétiques transforment-elles radicalement l’humanité ? Ces questions sont au cœur du roman de Greg Bear.

Pouvez-vous nous dire quelques mots au sujet de La Musique du sang ? Peut-on parler de roman visionnaire au regard de la dernière pandémie ?

Les pandémies fascinaient en effet Bear et on retrouve ce thème dans La Musique du Sang et aussi dans L’échelle de Darwin.

Au début des années 1980, date de parution du roman, l’épidémie de VIH commençait enfin à être connue du grand public et lui a certainement inspiré certaines réflexion. Mais Bear a surtout été impressionné par le scientifique californien Eric Drexler et sa vision de l’émergence des nanotechnologies. L’un des personnages principaux de La Musique du Sang présente d’ailleurs bien des ressemblances avec Drexler !

Mais au-delà de ces sujets, ce sont surtout les théories évolutionnistes qui passionnent Bear.

Dans La Musique du Sang, le généticien Vergil Ulam subira la destinée du Docteur Frankenstein, en donnant naissance à des cellules intelligentes, une création qui causera sa perte. Elles l’infecteront, puis se répandront dans le monde entier. Mais nous ne révèlerons rien de plus de l’intrigue !

L’échelle de Darwin (1999) et sa suite Les Enfants de Darwin (2003) relatent la propagation d’une maladie qui provoque des fausses couches, dont on découvre bientôt qu’il s’agit d’un réveil de l’ADN non codant qui donne naissance à des enfants génétiquement améliorés, constituant la prochaine étape de l’évolution humaine. Selon Bear, l’apparition de surhommes ne découle pas d’un processus néodarwinien avec la fameuse « survie des plus aptes » (seules les girafes à long cou survivent en périodes de sécheresse pour manger les feuillages les plus élevés), mais plutôt d’un processus transformiste lamarckien (les girafes, au fil des générations, voient leur cou s’allonger pour répondre aux exigences de leur environnement, ces traits héréditaires étant transmis aux générations suivantes). Cette évolution s’opère par « sauts » lorsque les circonstances l’exigent. Bear imagine ainsi que des séquences non codantes de notre ADN sont en réalité destinées à être activées lorsque notre environnement change radicalement, en période de stress « civilisationnel » pour ainsi dire.

Ces théories évolutionnistes ont également inspiré l’auteur australien, Greg Egan, dans son roman Téranésie (1999) qui se déroule sur une île déserte du Pacifique. Un couple de biologistes indiens y étudie une espèce mystérieuse de papillons dont la lignée génétique ne ressemble à rien de connu.

Presque 30 ans après, le message de l’auteur est-il toujours aussi pertinent ? A-t-il perdu de sa force ou le futur imaginé par Greg Bear peut effectivement être aussi terrifiant ?

Sous le couvert de romans de science-fiction, Bear est animé de motivations de lanceur d’alerte. Car toute invention emporte sa part de risques, comme Oppenheimer qui se voyait en « destructeur de mondes » avec l’invention de la bombe atomique.

Dans la plupart de ses ouvrages, Bear convoque des changements si décisifs pour notre espèce humaine, qu’ils impliquent parfois la survenance d’une apocalypse prenant des formes diverses, ou tout du moins la fin du monde tel que nous le connaissons. En ce sens, comme beaucoup d’auteurs de SF, il est fasciné par l’apparition d’un événement – catastrophique ou si transformateur que les conséquences sont tout aussi dévastatrices – et essaie d’en tirer certains enseignements.

Toutefois, Greg Bear ne se limitait pas au rôle de Cassandre quant à notre avenir jugé calamiteux, car le changement d’un monde à un autre – la fin « d’un monde » et non celle « du monde » – est certes porteur de grands risques, mais aussi d’immenses espoirs. Bear avait sa propre conception de ses responsabilités ainsi que du rôle des auteurs de science-fiction au sein de notre société :

« Nous ne sommes pas des prophètes. Nous ne sommes pas là pour informer les nantis sur la manière de gagner encore plus d’argent ni pour délivrer des conseils aux gouvernements de la planète. Nous ne sommes là que pour vous permettre de rêver et de concrétiser ces rêves, et également de provoquer, un peu à l’avance, certains de vos cauchemars, afin d’empêcher qu’ils ne se réalisent. »

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