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L’Évangile selon Myriam : l’interview de Ketty Steward

Ketty Steward est l’autrice de plusieurs ouvrages publiés depuis 2003, parmi lesquels Noir sur Blanc (2012) et Confessions d’une séancière (2018). Mue par la quête du mot juste, elle privilégie la forme courte et signe une cinquantaine de contes et de nouvelles. Diplômée en mathématiques, en sciences du travail, en secourisme et en psychologie, elle s’inspire aussi, largement, de son expérience dans l’éducation et de sa passion pour la cuisine.

Rêves, aspirations, besoins de croire. Dans « L’Évangile selon Myriam », vous nous proposez une relecture partielle et partiale des grands mythes fondateurs de nos civilisations et nous donner à lire votre vision d’une société plus juste et plus équitable pour peu que l’altérité en soit le socle. En cette période compliquée où, justement, les relations humaines physiques se sont faites rares, avez-vous mis en mots votre rêve utopique ?

Le contexte dans lequel Myriam écrit son Évangile et son destin individuel peuvent se rattacher au genre post-apocalyptique. Ça n’a, bien sûr, rien d’utopique, au contraire.

On sait, cependant, que les situations de crise peuvent s’avérer des occasions propices pour redéfinir nos évidences et renouveler nos modes de fonctionnement, y compris collectifs. 

Contrairement aux « bibles » et autres « livres saints » qui proposent des réponses à toute une série de problèmes, l’Évangile selon Myriam explore surtout des questions et sème le doute sur les absolus que sont censés représenter la Vérité et le Mensonge.

Myriam est une scribe. Elle a été désignée pour compiler les derniers vestiges d’une littérature sacrée ou profane. Une nouvelle mythologie. Ainsi l’aube des temps commence par « la naissance de la vérité ». Ce concept revient assez souvent dans vos interventions et textes. La vérité est-elle pour vous le début de tout. Ne croyez-vous pas en des vérités multiples ?

Je trouve le concept de vérité très riche pour analyser les relations interpersonnelles, les différences de points de vue, les conflits de valeurs et leurs conséquences dans la vie quotidienne. La fiction permet de mettre en perspective la vérité, enseignée comme un impératif dans les morales religieuses ou laïques. Quand on y regarde de plus près, elle dépend, en fait, de différents facteurs tels que la subjectivité de celle ou celui qui l’énonce, son degré d’accès aux informations, ses biais, ses arbitrages logiques ou éthiques, ses motivations personnelles, etc. 

Ça fait beaucoup de contingences pour un principe absolu ! Ce paradoxe-là m’a beaucoup intéressée.

Histoires évangéliques, romans, chansons, contes… Dans « L’Évangile selon Myriam », tous sont traités à la même enseigne, comme s’ils avaient la même importance. Est-ce que, pour vous, chaque création artistique est un texte ou un son ou une image sacrée permettant d’en tirer des enseignements concrets ?

Dans ce livre, j’ai, en effet, revisité des textes, et plus précisément, de la matière verbale qui a été écrite, perdue, redécouverte via l’oral, puis réécrite sous la plume de cette jeune femme, Myriam. Qu’il s’agisse de fictions populaires, de passages bibliques, de livrets d’opéra ou de contes, tous ces récits ont connu ces formes successives. On peut se demander ce qu’il en reste à l’issue d’un tel traitement.

L’autre point commun entre tous les textes retenus est qu’ils recèlent, même après transformation, un fragment de réflexion sur cette question centrale du mensonge et de la vérité.

Comme pour les religions abrahamiques, Myriam adresse à ses fidèles, lors de ses sermons, des messages universels s’appuyant sur les textes qu’elle rédige. Cette nouvelle bible et cette façon de présenter l’histoire du monde et des idées étaient-elle un pari littéraire ou philosophique… voire les deux ?

L’Évangile selon Myriam est une proposition, assez irrévérencieuse, qui prend au pied de la lettre les règles de l’exercice passionnant qu’est l’exégèse.

Pourquoi ne pas chercher, dans des textes anciens et connus de tous, des vérités sur la vérité, pour aujourd’hui et pour demain ?

Pourquoi ne pas étendre cette forme de commentaire à des écrits qui n’ont aucune prétention au sacré ?

Il s’agit d’un décodage, un parmi des milliers d’options envisageables, un peu comme l’a été l’interprétation des « deux mille trois cents soirs et matins », que j’évoque dans le livre, ainsi que celles d’autres prophéties, dans l’histoire de certaines communautés religieuses.

Une lecture, donc, parmi plusieurs possibles.

Tout au long des récits évangéliques de Myriam, nous retrouvons un personnage particulier. Une espèce de singularité quantique, créant, accompagnant ou confirmant ce que nous pourrions appeler le Chaos. Mais, rien n’est si simple dans vos récits. Alphonse, puisqu’il s’appelle ainsi, que représente-t-il pour vous ?

Alphonse incarne ce que pourrait être « le principe de réalité », si on acceptait l’idée qu’il existe quelque chose d’objectivement réel et indiscutable, indépendamment de nos sens, ou un chemin inévitable, à chaque carrefour de la vie.

Tour à tour, « raison » ou « fatalité », il a la pesanteur de ce qui s’impose quand on cesse d’imaginer d’autres voies pour l’avenir, ou des lectures divergentes du présent, ce qui revient au même.

Alphonse est donc ce qui reste quand on cède à la croyance qu’il n’y aurait pas d’alternative ; un fermoir et une impasse.

Je ne saurais pas dire ce qu’est une « singularité quantique », mais Alphonse ressemble beaucoup à ces gens qui refusent l’imprévisible et plombent tout, même après coup, en disant : « Je te l’avais bien dit ! »

Il porte en lui une part de l’ambiguïté inhérente au couple mensonge-vérité.

Vous venez de publier à la Volte une de vos nouvelles dans l’anthologie « Demain la santé » et en mars prochain, sortira « L’Évangile selon Myriam ». Vous êtes également Présidente de l’Université de la pluralité et très active sur Twitter pendant le confinement dans la création de micro-nouvelles où vous invitez les internautes à participer. Sans parler des revues que vous avez dirigées en 2017 et 2018 pour des numéros spéciaux sur la littérature africaine. Cette notion du partage, comme Myriam le fait de ses évangiles, a-t-elle été une des raisons de l’écriture de ce roman ?

L’envie d’écrire ce roman vient, comme pour la plupart de mes textes, d’un besoin de comprendre quelque chose dont la complexité exige qu’on y passe du temps et qu’on tente de le cerner suivant différents angles. 

C’est un travail essentiellement solitaire, bien que nourri à diverses sources.

Pour autant je ne me contente pas d’explorer pour moi seule ; d’où la démarche de publication.

Le moment du partage est important. Nous sommes des êtres sociaux, j’essaie de ne pas l’oublier.

J’ai déjà hâte de discuter avec les personnes qui me liront, celles qui embarqueront dans ce jeu intellectuel, celles qui auront creusé, de leur côté et autrement, ces mêmes questions, celles qui voudront bien penser, mais aussi rire avec moi, car j’ai eu de grands éclats de rire au cours de ce travail en apparence si sérieux !

La rencontre avec les lecteurs a été chaleureuse pour les Confessions d’une Séancière en 2018 et j’espère que la magie se produira de nouveau pour ce prochain ouvrage.

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