Il est des voix qui ne se contentent pas de raconter des histoires : elles dérangent, secouent, éraflent le vernis des illusions. Catherine Dufour appartient à cette lignée rare. Depuis ses débuts, l’autrice française s’est imposée comme une plume singulière, à la fois caustique et tendre, ironique et lucide.
Chez Catherine Dufour, pas de fioritures ni de futur lisse et chromé. Son écriture va droit au but, nerveuse, charriant un humour noir qui allège à peine la brutalité de ce qu’elle décrit. Elle n’a pas peur des images crues, ni des fulgurances poétiques, et c’est cette oscillation entre le trivial et le sublime qui rend sa voix si reconnaissable.
Figure majeure de l’imaginaire francophone, Catherine Dufour rejoint aujourd’hui notre sélection d’intégrales anniversaire avec Le Goût de l’immortalité, son roman culte, plusieurs fois primé et unanimement salué.
Récit puissant et subversif, ce cyberpunk dystopique explore les mirages du transhumanisme, les ravages écologiques et les dérives d’une technologie toute-puissante. Mais loin de se limiter à une critique sociale, le livre impressionne par la vigueur de son style, l’audace de sa structure narrative et la densité oppressante de son univers. Une œuvre coup de poing, qui a marqué une génération de lecteurs et continue de résonner avec une acuité troublante.
Le Goût de l’immortalité : une dystopie saisissante
Que vaut l’immortalité dans un monde en ruines ?
Publié en 2005, Le Goût de l’immortalité demeure l’œuvre-phare de Catherine Dufour. Couronné du Grand Prix de l’Imaginaire en 2007, ce roman visionnaire nous entraîne au cœur d’une mégalopole asiatique saturée de pollution, gangrenée par la corruption, où quelques élites richissimes s’offrent le luxe d’une éternité artificielle pendant que la multitude survit dans une misère poisseuse, sans espoir d’échappatoire.
Trois récits s’entrelacent : une adolescente figée dans le temps, un entomologiste happé par les enjeux du pouvoir et une musicienne qui tente d’adoucir les mœurs. Tours-monades, paludisme meurtrier, utopie dictatoriale, sorcière vaudoue : dans ce monde en ruine, seuls les plus résistants survivent.
Mais la force du livre tient moins dans ses éléments futuristes que dans l’attention impitoyable, et profondément humaine, que l’autrice porte à ceux qui y suffoquent. Pas de gadgets clinquants, pas de fascination pour la prouesse technologique : ce qui intéresse Catherine Dufour, ce sont les existences broyées, les rêves avortés, les désirs amputés. Avec un style incisif, parfois cynique et des personnages complexes, l’autrice nous entraîne au coeur d’un univers à la noirceur palpable. Chez elle, l’immortalité n’est pas une apothéose mais une geôle, promesse d’une vie interminable qui n’amplifie que l’injustice et la douleur.
Au cœur du roman brûle une interrogation universelle : que vaut une vie qui ne s’achève pas ? Catherine Dufour répond par le vertige : vivre toujours, ce n’est pas vivre mieux, c’est prolonger à l’infini la souffrance. Avec une férocité empreinte de compassion, elle dynamite le vieux rêve d’éternité et nous renvoie à notre propre condition mortelle.
Lire Catherine Dufour, c’est entrer dans une littérature de combat et d’intelligence, qui refuse les illusions faciles. C’est aussi découvrir une voix singulière dans le paysage français, qui utilise l’imaginaire pour interroger avec brio notre présent.
Et s’il fallait ouvrir la porte de son univers par un livre, nul doute que Le Goût de l’immortalité en est l’entrée idéale : un roman remarquable, dont les échos hantent longtemps après avoir refermé la dernière page.
