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Loïc Henry : de la salle des marchés à la littérature

Dans son sweat à capuche noir, une blessure au nez sans gravité, Loïc Henry commence cet entretien avec son calme habituel. Un flegme tout britannique sans doute hérité d’une époque où la Bretagne et la Grande-Bretagne coexistaient. Car oui, Loïc Henry est Breton.

« Fils métis d’un père de Cornouaille (Finistère sud) et d’une mère du Léon (Finistère nord) », dit-il avec un sourire en coin, le « pas encore » écrivain, né en 1971, grandit dans les Côtes d’Armor avant de quitter le domicile familial pour ses études à Lille, puis en Angleterre et enfin en région parisienne. Son père, né en 1924, échappé du STO et ayant fini la guerre en camp, n’a eu que peu l’occasion de poursuivre l’école. Il finit néanmoins, par son travail, Directeur des affaires sociales d’EDF, puis retraité, alors que Loïc n’a que 7 ans, puis il devient maire d’une petite commune rurale. Quant à sa mère, institutrice, issue d’une famille catholique « avec une foi incroyable dans l’école », puis infirmière, elle s’arrête de travailler pour s’occuper de ses deux fils.

Attiré par les salles de marché, il voit que les formations d’ingénieur commencent à y être appréciées, et il s’engage donc dans cette voie. À 17 ans, en classe prépa puis en école d’ingénieurs, il perçoit une différence qu’il n’avait jamais ressenti jusque-là avec ses coturnes « venant de milieux sociaux plus favorisés ». C’est là que la saine banalité de son enfance, dans une famille avec deux enfants, entre mer et sport, lui apparaît. « J’ai vécu la vie classique d’un enfant d’un petit village rural, dans les années 1970/1980, une vie différente de celle d’un enfant de Paris, ou même de Rennes ». « Les biais sont moins présents en Math Sup/Spé et en école d’ingénieur qu’en école de commerce… mais il y a toujours des biais », lui dit un jour un de ses professeurs.

Mais, finalement, qu’il s’agisse de l’ingénierie de production ou de recherche et développement, aucune des deux voies ne le passionne. Il s’intéresse aux métiers des salles des marchés. Pour cela, il maximise les choix réduits qui lui sont offerts et part à Leeds (Grande-Bretagne), non pour développer ses qualités d’ingénieur, mais pour perfectionner son anglais. « Il y avait un côté déracinement », difficile, car pour la première fois, il est à la fois loin de ses amis, de sa famille et de sa copine. Il revient en France, termine son école d’ingénieur, puis il enchaîne sur un troisième cycle en finance dans une école de commerce. Entre la lenteur des projets d’ingénierie et les salles de marché où chaque décision a un impact immédiat, il choisit la seconde option. Il y trouve également une certaine forme de méritocratie. Après quelques années entre Hongkong et la France, où il rencontre autant de requins en costume que de vrais altruistes, il arrête son métier pour se dédier à la formation à HEC et au coaching pour les entreprises.

Et la littérature dans tout ça ?

C’est fin des années 1990 qu’il reprend l’écriture d’un roman laissé de côté alors qu’il était étudiant à Leeds et le termine. « J’ai fait à ce moment-là un truc que je déconseille à tout le monde : envoyer tout de suite un long roman à des éditeurs sans avoir publié la moindre nouvelle ». Entre refus et absence de réponses, c’est finalement Griffe d’encre qui flashe sur le roman, mais ce dernier est en-dehors de la ligne éditoriale de cette maison qui vient de naître. Il en profite pour écrire de nombreuses nouvelles en français mais également en anglais, ce qui lui vaudra une publication en Australie. Loar, puisque c’est de ce roman qu’il s’agit, est reçu aux Imaginales comme coup de cœur, puis connaît une seconde vie en poche chez Folio SF, avec lequel il obtient le prix Imaginales des lycéens.

À retardement, il comprend que Philipe Ebly a été son déclencheur en tant qu’écrivain. Toutefois, à l’époque, ce qu’on appelle la littérature jeunesse n’existait pas vraiment. Il est donc, comme beaucoup d’enfants de l’époque, passé de la Bibliothèque verte à Dune de Frank Herbert. Un fossé quand on n’a que 12 ou 13 ans. L’imaginaire va devenir un pilier. Par ses mondes différents, par son attrait pour l’aventure, il s’intéresse de près à la SF. Même si Ebly lui a ouvert la porte, ce sont Herbert et Asimov qui sont ses influences les plus importantes avec un point commun : la multiplicité des mondes. C’est ce qu’il aime dans la SF : la liberté de créer tout ce qu’on veut avec une palette incroyable, mais avec la contrainte que ces univers soient cohérents d’un point de vue politique, économique, sociétal, technique, et dans les interactions entre les personnes. « La construction du monde est fondamental ». Toutefois, il ne voit pas ses écrits comme des prophéties. Pour lui, ses romans sont des indicateurs d’avenirs possibles plutôt que probables.

Le cinéma a également une place très importante dans l’univers de l’écrivain avec des films « puzzle » comme L’Armée des 12 singes ou encore eXistenz, mais également d’autres, tels que Bienvenue à Gattaca ou Dark City. Et cela explique sans doute sa littérature. « C’est sans doute vrai, car j’écris ce que je vois, ce que j’imagine, et cela peut donner des scènes très visuelles ». Autre influence majeure, l’océan qui n’est jamais loin : dans Loar, avec ses créatures marines, dans Les Océans stellaires avec ses portails dans les abysses, reliant les océans des multiples planètes. Même dans son thriller urbain, Un soupçon d’humanité, la Bretagne et l’océan ne sont jamais loin. D’ailleurs, arrivés à la fin de cet entretien et au moment où nous nous saluons, nous pouvons dire, sans trop nous tromper, que, finalement, Loïc Henry est, bel et bien né au milieu de la mer, comme le décrit la chanson traditionnelle « Me zo ganet e kreiz ar mor ».

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