A l’occasion de la sortie le 10 avril de Code Ardant, Marge Nantel nous livre quelques uns de ses secrets d’écriture.
Code Ardant, votre nouveau roman, paraît prochainement. Comment est-il né ?
D’une musique de 2WEI et d’un article sur la culture du chanvre… OK, dit comme ça, on ne voit pas très bien le rapport, j’avoue. Je lisais l’article dans le cadre d’une petite étude textile sur les fibres naturelles bien moins gourmandes en eau que le coton (et qui poussaient bien en France). Ça m’a amenée à une extrapolation sur les textiles et cultures du futur (et ça a donné naissance à Endah). J’avais les éléments pour commencer : un monde plus chaud, moins généreux, auquel l’Humain a bien été forcé de s’adapter, mais sans sombrer dans la dépression ou le chaos total.
Et puis il y avait cette musique qui, allez savoir pourquoi, m’évoquait une tempête de sable rouge (elle a donné naissance à Sioux). J’ai rassemblé ces deux images, ces deux personnages, l’un dans un milieu protégé, l’autre plus sauvage et Code Ardant est né comme ça.
De quoi cela parle-t-il ? Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Le monde a subi un genre de Troisième Guerre Mondiale. Mais au lieu de détruire la planète “ils” (on ne saura jamais qui) ont détruit ce tout connecté qui nous envahit littéralement aujourd’hui et dont certains pensent qu’on ne peut plus se passer. Parallèlement, le réchauffement climatique et la raréfaction des ressources ont continué leur petit bonhomme de chemin à peu près dans l’indifférence générale. Il n’y a pas eu de grosse catastrophe écologique autre que celle qui nous pend au nez, il y a même des dispositions prises pour s’adapter, mais cela a généré un repli, une relocalisation de la vie et de la ressource.
Dans ce monde en régression, on suit les tribulations d’une équipe de convoyeurs, une classe sociale aux compétences quasi militaires, qui assurent les transports de matériels entre les différents pôles de civilisation… à l’ancienne en fait, même s’ils ont des grosses voitures et des armes à feu dernière génération. Ils vont se retrouver pris dans la course au “trésor” que constitue la localisation du centre de contrôle de quelques satellites encore en activité.
Au milieu de ce récit qui se veut d’abord un récit d’aventure, il y a comme souvent chez moi, ce fil rouge autour de l’inutilité/ la vacuité de vouloir réparer/retrouver ce qui appartient, de facto, au passé. À la course aux vestiges de la civilisation passée, fantasmes matériels dont l’utilité est à démontrer, s’opposent la réalité tangible, difficile, mais humaine de l’équipe et ce que les liens humains peuvent apporter.
Tous vos personnages sont marqués, forts et en même temps fragiles et terriblement humains. Certains étaient-ils difficiles à camper ? Pourquoi ?
En fait, ce ne sont pas les personnages les plus marqués qui ont été les plus compliqués à gérer. J’adore écrire des personnages comme la Souris, par exemple, parce qu’il est tellement fou qu’il est, de base, capable du meilleur comme du pire. Je peux lui faire faire n’importe quoi sans jamais le détester.
Les personnages qui m’ont demandé le plus d’effort sont davantage les “second rôles”, toute cette population, qui ici désigne les gens censément “normaux”, qui pratiquent le système Ardant. Tout ce qu’on fait à Endah fait partie des passages difficiles à écrire et des personnages comme Arbate étaient plutôt compliqués à “aimer”. Parce que leur façon de penser et d’agir sont au plus loin de ma façon de raisonner et que je ne les comprends pas.
Avez-vous une préférence pour l’un d’eux ?
Sioux est définitivement mon chouchou. J’aime qu’il soit à la fois l’un des tueurs les plus efficaces de l’équipe et en parallèle le médecin / psy du groupe.
C’est vraiment ma conception de l’homme fort.
Il l’est physiquement, il est en capacité de défendre les siens (ça reste un tireur d’élite). Mais c’est aussi le soigneur, aussi bien du corps que de l’âme, capable d’empathie sans se laisser ensevelir par les problèmes des autres.
C’est un homme assez simple, en fait, qui s’accepte comme il est, qui a conscience (et qui n’a pas peur) de ses limites, de ses faiblesses et de ses sentiments mais qui n’a pas non plus de fausses pudeurs sur ses atouts et ses points forts. Ça en fait un humain facile, sans calcul, assez au clair avec lui-même pour ne pas se sentir embarrassé ou remis en question par la différence des gens qu’il côtoie.
Il accepte par exemple que son genre d’affection à l’égard de Suri, d’Endah ou même de Cécile ne soit pas bien clair. Comme il sait parfaitement où il en est, en fait, il s’en fout.
Un type à la fois fort et sentimental (et avouons le, plutôt mignon, dans ma tête)… on va dire que c’est plutôt proche de l’homme idéal ?
Votre roman contient aussi une certaine dose de violence. Était-ce compliqué à retranscrire, cette ambiance lourde au goût de sang, de cendre et de fin du monde ?
Pour moi, ce n’est pas vraiment une fin du monde, plutôt une “fin du monde actuel”. Je suis restée très “soft”, je pars même plutôt du postulat que les États (ici on parle surtout de de l’Europe et de la moitié nord de l’Afrique) ont plutôt bien géré pour éviter le chaos total. J’ai pris plaisir à imaginer quelle pourrait être la vie dans des conditions moins confortables. C’est malheureux, mais la situation de départ du roman, l’accès limité aux ressources, l’inégalité vertigineuse entre les conditions de vie de ceux qui vivent dans le donjon et les autres, c’est le lot de pas mal de populations aujourd’hui. Pas de quoi en faire un plat parce que là, ça se passe en France. D’ailleurs, ce n’est pas un roman pessimiste. La survie n’y est pas forcément simple, les personnages y sont fortement malmenés, mais je ne pense pas qu’on referme le livre sur l’impression que l’humanité va s’éteindre et la Terre devenir inhabitable.
Et, pour répondre plus précisément à la question, non, ce n’était pas vraiment difficile car finalement, les personnages acceptent cette ambiance, pour y avoir toujours vécu. C’est de l’ordre de leur quotidien et l’insécurité de leur vie ne veut pas dire qu’on ne trouve plus d’espoir, ou de belles relations.
Globalement, c’est plutôt le monde “propre”, celui du haut, le Donjon, les Forteresses, qui était un peu compliqué, car il induit une violence beaucoup plus clinique, institutionnalisée… déshumanisée.
Pourquoi écrire de l’imaginaire ? Est-ce plus simple pour aborder certains sujets ou est-ce juste un genre que vous aimez ?
D’abord, c’est un genre que j’aime. J’aime la liberté qu’il permet, la recherche et la création de quelque chose d’autre que notre monde actuel (en mieux comme en pire). C’est d’ailleurs inédit que je reste sur notre Terre, je préfère d’ordinaire enrichir le monde imaginaire où se situent mes autres romans.
Ensuite, effectivement, je trouve que c’est plus simple pour aborder des thèmes qui m’intéressent. Le fait de passer par la littérature imaginaire biaise le côté moralisateur qu’il y a, à mon sens, à aborder certains sujets d’actualité. En imaginaire, on peut grossir le trait, aborder la question avec assez de distance pour que le lecteur n’ait pas l’impression qu’on essaie de lui donner une leçon. Ce n’est pas l’intention d’ailleurs. Je vise avant tout l’évasion (ce que moi je recherche quand je lis). Et si au passage, cela peut transmettre un message, encourager à bouger un curseur dans la limite de ce que la réalité de chacun et ses aléas permet, c’est tout gagné !
Avez-vous eu des sources d’inspiration en particulier ?
J’adore Mad Max, particulièrement le dernier et je l’ai revisionné pour les scènes de course poursuite qui sont géniales (et qui m’ont en effet bien inspirée). Et c’est aussi exactement le genre d’ambiance de “fin du monde” que je ne voulais pas faire. Dans Code Ardant, il y a toujours un pouvoir central, des pays, des lois. On est davantage revenu à un système féodal dans le fonctionnement, mais ce n’est absolument pas l’anarchie. D’ailleurs, je pense que l’UE y existe toujours.
Sur les inspirations personnages, je me rapproche beaucoup plus de L’Autoroute Sauvage, de Julia Verlanger, une de mes autrices préférées. Le ton du personnage principal et narrateur, simple, factuel, récit d’un jeune homme né dans ce chaos et qui s’en accommode, parce que… eh bien il n’y a pas de pièce à y coudre, fait passer remarquablement la violence extrême de la trilogie. D’ailleurs s’il ne faut le chercher, au fond, c’est un bon garçon plutôt attendrissant… je pense qu’on voit assez bien lesquels de mes personnages lui doivent quelques traits.
Quant à la cohésion d’équipe, elle doit aussi à la série Firefly. Et si River et Endah n’ont pas les mêmes “problèmes”, ils partagent cette ambivalence de grande vulnérabilité tout en étant de terrifiantes machines de guerre.
D’ailleurs si Code Ardant devait être porté à l’écran, qui imaginez-vous dans les rôles de Sioux et Endah ?
Ces gaillards n’ont pas encore trouvé leur alter ego de chair et d’os ! Pas faute de chercher, mais je ne me suis pas encore arrêtée sur un acteur en me disant “c’est lui!” ( alors que mon écrit en cours, lui, a déjà quasiment tout son casting).
Pour le moment il n’y a que Cécile et Paul qui ont leurs acteurs. J’attends juste le bon moment pour en parler à Zoé Saldana et à Raphaël Personnaz.