En 2025, Mnémos fête ses 30 ans et pour célébrer cet anniversaire, un concours de nouvelles de fantasy sur le thème de la mémoire ouvert aux primo-autrices et auteurs était organisé.
À l’occasion de la sortie de l’anthologie Memoria, découvrez un de ces cinq nouveaux talents de l’imaginaire !
Pourriez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours en tant qu’écrivain ?
Je m’appelle Corentin Praud, je suis éclairagiste et constructeur pour la marionnette contemporaine.
Adolescent, j’ai commencé à écrire pour laisser s’écouler tout ce que je ne comprenais pas ; des monstres et des métamorphoses pour éponger mes maux ordinaires. J’ai laissé dériver ces figures en grandissant, m’intéressant à la création plastique et au spectacle vivant. Il y a huit ans, après une année passée dans les Balkans, l’écriture est revenue pour essayer de comprendre l’histoire de la Yougoslavie et de son éclatement : territoire à la confluence des empires et des religions, héritier de toutes nos histoires européennes, nostalgique d’un communisme singulier… Est alors né un univers fictionnel, hirsute et touffu, autour de la République d’Elyanor, dans lequel se superposent comme autant de calques les couches narratives. De retour en France, l’univers s’est étoffé de questions sociales et écologiques. Je me suis engagé dans l’écriture comme on rentrerait dans les ordres, avec l’envie de trouver un récit liant le plaisir et l’évasion de l’imaginaire pour réinventer nos normes sociales, notre rapport à la nature. Pour autant, je n’ai jamais imaginé être plus qu’une goutte dans la marmite bouillonnante de plumes rêveuses. Aujourd’hui, j’écris par nécessité, convaincu que la fiction façonne le réel et qu’il est indispensable de réinventer nos imaginaires pour parvenir à une société viable.
Comment avez-vous découvert les littératures de l’imaginaire, et plus particulièrement la fantasy ? Y a t-il une œuvre qui vous a marqué profondément ?
Cela a commencé par une collection de contes audio, mélangeant les folklores européens, de la Bretagne aux confins de l’Est. Puis une passion pour la mythologie égyptienne. Adolescent, j’ai hérité d’une collection d’Anticipation, livres de sf des années 80, teintées de guerre froide. En parallèle, j’ai découvert Megan Lindholm/Robin Hobb, avec L’Assassin Royal et Les Aventuriers de la Mer, deux sagas qui m’habitent encore aujourd’hui. Le personnage du Fou, si singulier et multiple, Œil de nuit et le fantasme de partager le Vif, la multiplicité des fils narratifs qui s’entrecroisent…
Pourriez-vous nous expliquer comment vous êtes entré dans l’aventure Memoria ?
Je suivais les actualités de Mnémos quand je suis tombé sur l’annonce Instagram du concours des trente ans. Alléché par le thème et le défi, j’ai plongé. Après avoir essuyé une pelletée de rejets à de précédents concours, j’ai décidé sur celui-ci de jouer le jeu de la fantasy et de me concentrer sur des figures issues de folklores connues, sans chercher à réinventer la roue. Une idée m’a rapidement accroché : et s’il existait un impôt sur la mémoire ? Sont ensuite venus les noms des personnages, Yvonne et Rico, la figure de la fée et le nom de la déesse Mnémosyne, fille du ciel et de la terre. Ne restait plus qu’à trouver les mots !
Comment s’est passé l’écriture de votre nouvelle ?
Une première version est née relativement rapidement, j’avais les images en tête, la force dramatique des personnages ressentie à l’écriture. Et puis j’ai fait lire cette version à ma chère et tendre, avec qui nous partageons nos travaux d’écriture, et elle m’a dit : « Je n’ai rien compris. » Dépité, j’ai hésité à abandonner (étant à cette période à mon énième rejet de nouvelles). Grâce aux retours de ma compagne et à nos échanges, j’ai clarifié les enjeux, éclairci les ramifications, fluidifié la langue poétique, donné le temps à ce qui avait besoin de l’être. À force de souffler sur les braises, Mouches s’est dessinée dans sa forme définitive.
La mémoire est un vaste sujet. Y a-t-il un message que vous souhaitiez faire passer en l’écrivant ? Quelque chose que vous vouliez absolument aborder ?
Mouches est partie d’un questionnement sur le lien entre héritage mémoriel et patrimoine matériel. Notre patrimoine culturel est essentiellement constitué de ce qu’il reste de celles et ceux qui ont dominé et exploité. L’architecture de Nantes et la beauté de ses bâtiments sont le reflet du commerce triangulaire, le musée du Quai Branly l’héritage d’un colonialisme à peine éteint… De même, lorsque l’on cite les noms des créateurs et créatrices d’œuvres d’art ou de mode, on ne cite jamais les dizaines, voire centaines de personnes qui ont œuvré à leur réalisation. Le sujet est vaste et je n’ai pas la prétention d’avoir une réponse à y apporter. Je souhaiterais qu’il y ait plus d’histoires pour se souvenir des feuilles mortes plutôt que du bûcheron.
Les mots de la fin vous appartiennent, c’est à vous !
Rêvons collectivement, de rêves lents et profonds, de rêves souterrains qui s’enracinent dans notre quotidien et bouleversent notre société. Soyons de cette mauvaise herbe qui perce le béton.
