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Cet automne, plongez au cœur de Gandahar, la saga mythique de Jean-Pierre Andrevon à l’occasion de sa parution en intégrale !

Né en 1937, Jean-Pierre Andrevon est un géant de l’imaginaire francophone.
Avec sept romans (dont un inédit) et six nouvelles, Mnémos vous propose de (re)découvrir le cycle de Gandahar, l’un des essentiels de la science-fiction française, dans sa collection Intégrales.
Et pour célébrer cette parution, on vous propose un entretien exclusif avec l’auteur.

Votre cycle de Gandahar vient de paraître en intégrale. À l’époque du premier roman, saviez-vous déjà que vous iriez aussi loin dans cet univers ?

Pas au début de la phase d’écriture mais, une fois le manuscrit bouclé, je me suis dit que je tenais un décor et un personnage aussi riches que malléables et qu’il n’y avait pas de raison que je m’en tienne là, d’autant qu’à sa publication, le roman avait été plutôt bien accueilli. J’ai donc assez vite élaboré le synopsis d’une seconde aventure de Sylvin Lanvère, à savoir celle qui serait publiée sous le titre de Gandahar et l’oiseau-monde. Seulement, pour des raisons diverses et variées tenant aux multiples activités qui me mobilisaient dans les années 70 et 80, il a fallu près de 30 ans pour que ce projet arrivé à maturité !

L’écriture est l’un de vos talents, mais vous aimez également la peinture et la musique. Ces deux autres champs artistiques ont-ils influencé la rédaction des récits composant Gandahar ?

Cette question réclame un bref retour en arrière. Avant d’être un roman, Les Hommes-machines contre Gandahar aurait dû être une bande dessinée que j’avais commencé à élaborer, sur de grandes planches en couleur directe, fort de mon expérience de peintre débutant, inspiré que j’étais par les premières bandes de Forest, Druillet, Peellaert, alors publiées par Éric Losfeld, à qui j’avais montré les planches d’étude un jour de l’hiver 1967-68. Et qui n’en avait pas voulu, me suggérant qu’il me fallait travailler encore, jugeant sans doute, et avec raison, que je ne faisais pas le poids face à ses prestigieux poulains, d’autant qu’il se préparait à publier Saga de Xam de Nicolas Devil, au dessin assez proche du mien. Et, à l’époque, il n’existait pas d’autre éditeur pour ce genre de travail, à savoir une mise en page ignorant les petites cases et les bulles héritées de la ligne claire. Pas découragé, un peu quand même, j’ai décidé de transformer ma bande dessinée inachevée, qui possédait un scénario assez lâche, en roman. En premier lieu, je l’ai proposé au Fleuve Noir, pour sa collection « Anticipation ». Mais son directeur d’alors, François Richard, m’a répondu que c’était très bien mais trop intello (sic) pour le Fleuve, me conseillant de lui proposer autre chose, ajoutant que nous finirions bien par travailler ensemble. J’ai alors tenté Denoël et « Présence futur » et cette fois, gagné, Robert Kanters, son directeur, l’a accepté. Quant à la musique, ne mélangeons pas tout, elle n’a rien à voir dans ce projet. J’ajoute que je ne me considère aucunement comme musicien, j’écris des chansons, ce qui est différent, car pour moi ce sont les paroles qui priment.

Cette intégrale du cycle de Gandahar regroupe 7 romans et 6 nouvelles, publiés entre 1969 et 2024. Pouvez-vous nous en dire quelques mots.

Il suffit d’en revenir à la première question : j’avais sous la main un décor, un personnage qui ne demandaient qu’à faire petits. Et seules les circonstances ont fait que leurs naissances successives se soient à ce point étirées. Mais j’y suis toujours revenu avec plaisir, une nouvelle par ci, un roman par là, qui me changeaient des textes plus contemporains et plus sombres qui forment l’essentiel de mon « œuvre ». Même si la politique et l’écologie ne sont pas absentes des Gandahar.

Avec le recul, changeriez-vous certaines choses ?

Mon seul regret est d’avoir à ce point espacé les parutions. 7 romans entre 1968 et 2023, il faut le faire ! Je veux tout de même ajouter une chose : le point de départ de mon retour aux Gandahar, après le premier opus, tient à Denis Guiot qui, en 1996, dirigeant alors la collection jeunesse « Vertige SF » chez Hachette, me demanda de lui écrire un volume. Qui, de lui ou moi, a proposé « Pourquoi pas un Gandahar ? » J’avoue ne plus m’en souvenir, mais l’idée était lancée. J’ai donc ressorti mon synopsis en rade et lui ai proposé ce qui deviendrait Gandahar et l’oiseau-monde, sorti en 1997. Un second a suivi en 1999, Les Portes de Gandahar. C’était lancé et, Guiot ayant quitté Hachette pour prendre en main une autre collection dite « jeunesse », « Autres Mondes » chez Mango, paraîtront dans la foulée Les Rebelles de Gandahar (2002) et L’Exilé de Gandahar (2005). Sans lui, peut-être n’y aurait-il jamais eu de retour. Je lui rends grâce pour cela !

La Reine de Gandahar est un roman inédit. Qu’apporte-t-il de nouveau à ce cycle ? Faut-il commencer la lecture par ce récit ?

La réponse tient à la place qu’occupe chronologiquement ce titre dans l’Intégrale. Sans doute est-il paradoxal que l’ultime roman écrit du cycle en soit la figure de proue mais, ainsi que je l’ai expliqué ci-avant, j’avais créé un univers. Donc l’idée me titillait d’en raconter les débuts. Or, outre Sylvin, l’autre personnage principale de la série est Myrne Ambisextra, la reine de Gandahar. Il était naturel pour moi, je dirais même indispensable, d’en venir à son histoire personnelle, ce qui me permettait en outre de féminiser une saga sans doute trop masculine. Et puis l’histoire d’une mendiante devenue reine, c’était une trop belle fable pour que je passe à côté. J’ajoute que l’idée en avait germé avec mon retour à la saga, en fin des années 90, époque où, selon ma méthode de travail habituelle, j’en ai élaboré un synopsis assez précis. Alors pourquoi n’avoir pas écrit le roman à ce moment-là ? Sans doute que, pour moi, ce devait être un récit à part, en tout cas impropre à une littérature dite « jeunesse ». Et c’est la proposition de Mnémos du publier (enfin !) une intégrale, qui m’a fait comprendre que le moment était venu. Encore une grâce à rendre.

Et maintenant ? Gardez-vous encore des écrits se déroulant sur la planète Tridan ? Rêvez-vous de nouvelles aventures pour Sylvin Lanvère ?

En principe, une Intégrale, c’est le mot de la fin. Et puis, ayant atteint un certain âge, pour ne pas dire un âge certain, le temps m’est compté et je dois sérier les projets. Ce qui ne signifie pas que les idées soient taries : suite au retour des saisons sur la planète Tridan, une ère glaciaire arrive. Les sujets de toutes les royautés se réfugient à Gandahar, sous le dôme de chaleur qui protège la capitale Jasper. Mais des guerres civiles ne tardent pas à bouleverser cette paix précaire. Les derniers survivants quittent alors la planète, s’égayant dans l’infini à la recherche d’autres mondes. Seuls demeurent sur Tridan les transformés, parfaitement adaptés au froid. Un huitième roman ? Même s’il ne faut pas dire jamais plus jamais, il y a honnêtement peu de chance que je l’écrive. Nettement plus probable est une nouvelle titrée La mort de Sylvain qui, son titre en fait foi, bouclerait véritablement le cycle. À bientôt, alors ?

Gandahar, c’est également un film d’animation de René Laloux avec Philippe Caza. Quelle en est sa genèse ? Comment s’est passé ce projet ?

Le plus simplement et banalement possible. En 1973, soit quatre ans après la publication du roman, je reçois une simple lettre manuscrite de René Laloux me disant qu’il avait lu Les Hommes-machines contre Gandahar et qu’il aimerait en faire un film d’animation. Ayant vu bien sûr son premier long, La Planète sauvage et certains de ses courts-métrages, je ne pouvais qu’être d’accord. Nous en avons discuté, il m’a appris qu’il avait envisagé de faire appel à Caza pour le dessin, ce que je ne pouvais qu’approuver. Cela a démarré ainsi, mais il a fallu quatorze ans pour que le projet aboutisse parce qu’à l’époque il était bien difficile de réaliser en France un long-métrage de ce genre. Laloux avait monté ses propres studios à Angers, où fut fabriquée la superbe bande pilote du film pour le prévendre. Mais sans succès. Il a ensuite tenté de monter le projet au Canada, puis en Tchécoslovaquie, pour aboutir finalement en Corée du Nord, pays qui à l’époque possédait d’excellents studios spécialisés et où la minute de dessin animé coûtait le moins cher. La fabrication du film devait durer dix-huit mois, avant sa sortie française, le 11 décembre 1987. Laloux m’avait fait lire le scénario, il m’avait également montré les croquis préparatoires de Caza, mais ma participation à l’adaptation s’est bornée à ces contacts superficiels, même si j’aurais aimé y participer de plus près…


Il y a donc eu l’adaptation en version animée par René Laloux en 1987, mais avez-vous déjà rêvé d’une adaptation cinématographique ? Si oui, une idée de casting pour Sylvin Lanvère ?

La première chose qui m’aurait bien plu : un album de bande dessinée de Caza d’après les multiples dessins faits pour la préparation du film. Mais ça ne l’a pas intéressé. Alors un film ? Il y faudrait une superproduction US, à moins que Besson ait choisi Andrevon et Gandahar plutôt que Mézières et Christin pour L’Empire des mille planètes ! Quant à l’acteur pouvant se mettre dans la peau de Sylvain, je pioche Brad Pitt tel qu’on le voit dans Troie, le film de Wolfgang Pettersen. Mais c’est un peu tard…

Vous avez été très sensible à l’écologie durant toute votre carrière et actuellement, celle-ci semble prendre de plus en plus de place dans la littérature de science-fiction.
Quel regard portez-vous sur ce développement des fictions climatiques ? Récemment vous avez déclaré qu’ « Un auteur de SF écoute le monde en marche, c’est un historien du futur ». Pour vous écrire est un moyen de sensibiliser ? Ou de simplement vouloir divertir?

L‘écologie, disons que j’y ai été sensible d’abord comme humain, comme citoyen, bien avant que l’écrivain trempe sa plume dans l’encrier. Enfant, je courais la campagne pour y étudier les insectes (qui disparaissent à vitesse grand V). J’ai toujours été plus sensible à la nature qu’à la culture et mon engagement en écologie est motivé par la pratique plus que la doctrine. De même que j’ai pu être lecteur des récits y faisant état, l’écologie étant la plupart du temps conjuguée avec le catastrophisme, puisqu’elle nous met en garde contre ce qui arrive quand on n’en tient pas compte. Mais est-ce nouveau ? Rappelons que Ravage de Barjavel (un de mes maîtres !) date de 1943 et que l’effondrement qu’il décrit suite à la disparition de l’électricité serait tout aussi valable, et plus encore, aujourd’hui. Nombre d’auteurs (citons Ballard) ont suivi ce chemin de décennie en décennie, donc quoi de plus naturel que des auteurs prennent aujourd’hui le sujet à bras-le-corps, puisque quelqu’un qui se veut historien du futur doit d’abord se baser sur le présent, étant donné que c’est au présent qu’il vit et que notre présent, c’est la crise climatique. Seulement pour en dire quoi, et comment ? Combien de romans ne passent-ils pas entre mes mains où je lis qu’un groupe, ou une famille, erre entre les carcasses de bagnoles et les lacs asséchés, en butte aux pillards ou aux cannibales, pour atteindre enfin le bord de la mer, (toujours recommencée), ou un endroit protégé, quand on ne file pas vers Mars pour y édifier une nouvelle civilisation, merci Elon Musk ?

Le mal peut être l’ennemi du bien et La Route c’était bien, seulement le roman date de près de 20 ans. Alors à quoi bon en faire des clones ? On tire la sonnette d’alarme certes. Mais un peu tard. Et il ne faudrait pas oublier que nous ne sommes que des écrivaillons, des clowns sur la piste de l’apocalypse et que si notre métier, à supposer que c’en soit un, vaut la peine d’être poursuivi, c’est aussi, c’est d’abord, comme vous le dites si bien, pour divertir. Sans se faire d’illusion. Et en se rappelant cette réflexion de Sartre : « Toute la littérature du monde m’empêchera jamais un enfant de mourir de faim ».

L’intégrale du cycle de Gandahar est disponible en librairie et sur notre site depuis le 6 novembre.

Estelle Hamelin

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